
En moyenne, la concentration des adolescents est perturbée toutes les 90 secondes. Une simple notification peut détourner l’attention d’une tâche. En cas de distractions, l’individu met environ 23 minutes à retrouver son niveau de concentration initial. Dans les établissements scolaires, cela implique que pendant une durée de classe de 55 minutes, les nombreuses distractions dans la classe rendent presque impossible de rester concentré. Selon Rebecca Branstetter, psychologue scolaire, lorsque vous vous déplacez d’une activité à l’autre, vous perdez de l’énergie cognitive et il vous faut beaucoup plus de temps pour vous concentrer. Les adolescents ne sont pas conscients de l’impossibilité neurologique du multitâche.
Mme Branstetter s’est récemment exprimée lors de la conférence Learning and The Brain : Teaching Engaged Brains à San Francisco, où elle a cité les statistiques ci-dessus tirées du livre Stolen Focus de Johann Hari (non traduit). Quand Mme Branstetter a interrogé les enseignants sur les problèmes causés par les écrans dans la salle de classe, ils ont mentionné des comportements habituels des élèves, tels que jouer à des jeux pendant un cours, assurer que leur téléphone est éteint alors qu’il ne l’est pas, répondre à des textos ou encore être fatigués d’avoir « scrollé » toute la nuit. La recherche démontre que ces distractions ne sont pas seulement frustrantes pour les éducateurs, mais elles diminuent également l’efficacité cognitive.
Elle explique que les réseaux sociaux sont destinés à captiver les utilisateurs, en sollicitant le circuit de la récompense et libérant ainsi régulièrement de la dopamine, pendant de longues périodes et que les enfants et les adolescents sont encore en train d’acquérir des compétences en matière de fonctions exécutives, il est donc essentiel que les parents et les enseignants établissent des limites et jouent le rôle de mentors technologiques. La seule volonté n’est pas suffisante. Il est nécessaire de mettre en place un cadre favorisant la création de priorités et la concentration chez les enfants. Au cours de sa conférence et de son entretien de suivi avec MindShift, Branstetter a proposé 10 conseils et astuces pour aider à stimuler les compétences de la fonction exécutive des adolescents et à gérer le temps d’écran.
1. Considérer la technologie comme un outil.
La technologie est comme un marteau, a déclaré Mme Branstetter. « C’est un outil, et vous pouvez l’utiliser pour créer de belles choses ou pour les détruire. Tout dépend de la manière dont on l’utilise. » Les adultes peuvent aider les enfants à considérer la technologie comme un outil en les encourageant à trouver une application ou un outil technologique qui répondra à un défi spécifique auquel ils sont confrontés. Si un adolescent souffre d’anxiété, par exemple, il peut tester quelques applications de méditation et en faire part à l’adulte. Branstetter a également souligné qu’il existe des applications qui bloquent les sites web les plus recherchés sur un appareil pendant un certain temps, ce qui peut être utile pour un élève qui a du mal à se concentrer sur des tâches pendant des périodes prolongées.
2. Accompagner l’initiation à la tâche.
Selon Branstetter, l’initiation à la tâche est l’une des principales fonctions exécutives qui sont interrompues par la technologie et l’utilisation du téléphone portable. Les adultes peuvent supposer que l’arrêt d’une tâche précédente est un précurseur évident de l’initiation d’une nouvelle tâche, mais les enfants et les adolescents peuvent avoir besoin d’une instruction plus explicite pour développer cette habitude de séquençage. Il peut s’agir de demander aux élèves ce qu’il faut faire pour commencer une tâche spécifique. Les élèves peuvent suggérer que les téléphones doivent être rangés (système de « boîte à téléphones » à l’entrée de la classe/maison) et qu’ils doivent sortir le matériel nécessaire à l’exécution de la nouvelle tâche. Selon Branstetter, il s’agit d’une pratique importante de la conscience de soi.
3. Analyser les émotions liées à l’usage du téléphone.
Le contrôle des impulsions est une autre compétence de la fonction exécutive que les adolescents sont en train de développer. S’il est difficile pour un élève de ne pas regarder son téléphone lorsqu’il commence une nouvelle tâche, il peut être bénéfique de l’inciter à réfléchir à son comportement. Il est possible que l’adulte interroge l’adolescent en lui demandant : « Qu’est-ce qui te pousse à regarder ton téléphone? » et en suggérant des émotions telles que l’anxiété ou l’ennui auxquelles l’adolescent pourrait s’identifier. L’adulte et l’adolescent peuvent alors élaborer un plan pour mettre fin à l’utilisation du téléphone à ce moment-là et se recentrer sur la tâche la plus immédiate.
4. L’astuce du sticker ou le mode avion.
Le fait de placer un sticker sur la caméra frontale empêche la reconnaissance faciale du smartphone et ainsi de le déverrouiller automatiquement. Branstetter recommande de guider les adolescents pour qu’ils profitent de ce moment où le téléphone ne se déverrouille pas pour s’interroger : « Pourquoi est-ce que je vérifie cela ? Comment est-ce que je me sens ? » Si la méthode du sticker ne fonctionne pas, Branstetter suggère d’apprendre aux adolescents à utiliser le mode avion pendant les moments où les distractions téléphoniques ne sont pas les bienvenues.
5. Éduquez à l’I.A pour en tirer parti.
L’utilisation des I.A par les élèves est devenu en quelques années un fléau pour les enseignants, que ce soit en classe de secondaire ou dans le supérieur. Les logiciels de plagiat on dû rapidement se mettre à jour pour traquer les copies rédigées par un ordinateur. Mais plutôt que de s’ériger vent debout contre cette technologie, qui de toute façon va s’installer durablement et s’améliorer, autant apprendre à en tirer parti et à l’utiliser intelligemment. Les I.A peuvent être utiles pour les adolescents qui ont du mal à décomposer les tâches et à les mener à bien. M. Branstetter recommande Goblin Tools, qui, à partir d’un message du type « Je dois écrire un article de cinq pages sur la Mésopotamie », crée une liste de contrôle reprenant les étapes à suivre par l’élève pour mener à bien son travail. Les enseignants vont devoir se former à cette technologie pour guider et éduquer à la bonne utilisation de ce formidable outil qu’est l’Intelligence Artificielle.
6. Utiliser un minuteur pour décomposer le temps.
La technique Pomodoro, qui consiste à se concentrer pendant 25 minutes et à faire des pauses, s’est avérée utile pour les adolescents avec lesquels Branstetter travaille. En décomposant ainsi le temps, les élèves consentent (presque inconsciemment) à rester concentrés le temps imparti. Il est plus facile de demander de faire un effort de concentration sur un laps de temps court que sur des plages horaires longues. Il faut évidemment adapter le temps de concentration à l’âge de l’enfant. Elle recommande également Forest, qui peut être téléchargé en tant qu’application pour smartphone ou utilisé en tant qu’extension Chrome. Forest aide les utilisateurs à suivre leur temps de concentration grâce à un rappel visuel de la concentration sous la forme d’un arbre qui pousse lentement sur l’écran, ainsi qu’à des incitations concrètes. Lorsqu’un utilisateur atteint un certain temps de concentration, sans distraction, un véritable arbre est planté par le partenaire de l’application Forest, Trees For The Future.
7. Créer un contrat d’usage du téléphone.
Les accords ou contrats d’usage téléphonique permettent aux enseignants ou aux parents de collaborer avec les jeunes sur les attentes en matière de technologie. L’un des aspects d’un accord technologique peut consister à déterminer où se trouvent les « zones chaudes » et les « zones froides » de la technologie dans la salle de classe ou à la maison. En déterminant à l’avance les endroits où la technologie est censée être utilisée ou non, les élèves ont plus de chances d’appliquer les compétences qu’ils ont acquises en matière de fonctionnement exécutif et de réflexion anticipée. Refuser de faire appel à internet lors d’une séance de cours peut être un non sens. Dans une classe flexible par exemple, créer une zone « usage des téléphones/tablettes autorisé » peut se révéler un super outil d’apprentissage de l’autonomie, en intégrant dans les tâches à exécuter en classe des recherches sur des sites internet.Si la classe possède des ordinateurs/tablettes à disposition cela évite que les élèves se perdent sur des sites non autorisés. Aujourd’hui, il existe peu d’enfants n’ayant pas de smartphone, autant les utiliser intelligemment en classe ! A la maison, des zones ou moment peuvent être « sans téléphone », par exemple le moment du repas, le temps des devoirs etc. Ces zones/moments devront être indiqués dans le contrat.
8. Tenir un journal d’habitudes.
Un autre exercice que les parents et les enseignants peuvent utiliser pour faire prendre conscience aux adolescents de leurs propres habitudes consiste à leur demander de tenir un journal de leurs activités quotidiennes, a déclaré Branstetter. Sur les Iphones, il existe une application « temps d’écran » (dans les réglages) qui permet à l’utilisateur de voir le temps passé sur son téléphone. Mais on peut demander aux élèves/enfants de noter sur un calendrier combien de temps ils passent chaque jour à l’extérieur, à faire de l’activité physique, à socialiser, à s’amuser, à se concentrer et à passer du temps sans technologie. En demandant aux enfants de prendre le temps de réfléchir à leurs propres données et de voir combien de temps ils consacrent à certaines activités au cours de leur journée, les moments déséquilibrés deviennent très évidents, a ajouté Mme Branstetter.
9. Encourager la réflexion sur l’avenir et la visualisation.
La planification de l’avenir est également une compétence apprise de la fonction exécutive. « Parce que la motivation est la capacité à percevoir une émotion positive dans l’avenir, nous devons aider les enfants à visualiser l’avenir », a déclaré Branstetter. En aidant les élèves à visualiser ce à quoi ils pourraient ressembler et ce qu’ils pourraient ressentir à l’avenir en accomplissant une tâche, on les aide à anticiper. Par exemple, en demandant à votre enfant à visualiser une sortie en forêt ou avec ses amis, une séance de sport à la place de son après-midi à scroller. Évidemment, cette technique peut s’avérer glissante avec des adolescents en période de crise d’opposition.
En classe, si un enseignant remarque qu’un élève utilise son téléphone alors qu’il devrait être en train d’effectuer une tâche de mathématiques, il pourrait dire quelque chose comme ceci : « Voici le film qui se joue dans mon esprit en ce moment. Tu as sorti ton téléphone et il est interdit de le faire, alors je suis censé te le prendre, et c’est ainsi que le film se termine, en le prenant ». L’enseignant invite ensuite l’élève à raconter comment un épisode pourrait se dérouler s’il termine sa tâche de mathématiques ou non. L’enseignant peut alors simplement demander : « Qu’est-ce qui te semble le mieux ? », laissant à l’élève le soin de choisir.
10. Renforcer les comportements positifs.
Mme Branstetter a également constaté que le renforcement positif de la part des adultes était efficace lorsqu’il était spécifique et sincère. Selon elle, il est préférable d’associer les félicitations à un retour d’information correctif (feedback). Mais avec les adolescents, les compliments ne sont pas toujours bien reçus s’ils sont faits en public, alors essayez de faire des compliments et des commentaires correctifs de façon individuelle et privé (si possible). Lorsqu’il s’agit de réguler le temps d’écran en classe, l’éloge peut être aussi simple que de dire à un élève : « Je ne t’ai pas vu avec ton téléphone de toute la journée dans ma classe, cela me fait plaisir » et de lui demander un retour sur son ressenti.
Éduquer à l’usage des outils technologique est comme tout apprentissage : il passe par l’exemple. Ainsi, un enfant dont les parents utilisent leurs téléphones lors de repas/devant le film du soir ou qui restent devant leurs ordinateurs une partie du week-end aura beaucoup plus de mal à accepter de « lâcher » son écran. Il apparait comme un non-sens d’interdire totalement l’usage des écrans (sauf pour les enfants de moins de 3 ans) aux enfants : internet peut être un outil très performant et intéressant. Il faudra donc guider et éduquer son enfant/ ses élèves aux bons usages de cet outil.